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Le tofu, de la viande de pédé ?

mars 27, 2012

Il fallait oser. On apprend ces jours-ci que Maredo, une chaine de restaurants à steak allemande, avait dans ses cartons une campagne de pub dont l’un des slogans était : « Le tofu, c’est la viande des pédés » (« Tofu ist Schwules Fleisch »). On ne peut que tirer son chapeau : c’est élégant.

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Dans une veine un peu différente, une autre affiche nous présente un nouvel argument que je n’avais pas encore entendu en faveur de la consommation de viande (c’est suffisamment rare pour le noter) : « si on ne doit pas manger les animaux, alors pourquoi ont-il de la chair ? » Bon sang, mais c’est bien sûr !

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Au delà de la polémique en Allemagne sur la responsabilité respective de Maredo (qui a publié un communiqué ; en réalité la campagne n’a pas été diffusée) et de l’agence de pub Scholz & Friends, il est toujours frappant de constater à quel point ce sont toujours les mêmes ficelles qui sont utilisées pour vendre de la viande : jouer sur la virilité du « baffreur de viande » (je crois que c’est à Gombrowicz que j’emprunte cette expression), valoriser le carnivore-grand prédateur. Le ressort psychologique sur lequel joue la pub Maredo, c’est celui de la peur de l’homosexualité : elle offre la possibilité d’acquérir le signe incontestable de sa propre hétérosexualité en posant l’acte viril par excellence, l’ingestion d’un steak de boeuf. Et il n’est pas annodin dans ce contexte que la pièce de viande choisie pour cette affiche comprend un os, rappel de la bête dont elle vient. Implicite également, à mon avis, est l’idée que le tofu est un aliment infamant pour les hommes (les amateurs en sont des « pédés »), mais pas pour les femmes qui, comme chacun sait, sont des être chétifs se nourrissant de salade : la pub aurait moins bien « marché » avec comme slogan « Le tofu, de la viande de femme. »

Combien les français dépensent-ils en produits animaux ?

mars 22, 2012

Combien les français dépensent-ils en produits animaux ? C’est en définitive assez difficile de répondre à cette question. Si on va sur le site du lobby de la viande, on apprend que la consommation de viande diminue régulièrement, que les français sont en majorité des petits consommateurs, et que par conséquent ils couvrent mal leurs besoins nutritionnels.

En cherchant un peu, je suis tombé sur une étude de l’Insee parue en 2008 sur les dépenses des ménages pour la nourriture. J’imaginais, certes, que la viande se taillait la part du lion (si j’ose dire) dans le budget nourriture des français, mais je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que ce soit dans de telles proportions : la viande, les oeufs et le poisson, c’est environ les trois quarts des dépenses de repas (hors dessert) en France… Viande, oeufs et poisson représente 38% des dépenses alimentaires totales. (Il faudrait calculer ce que ça représente en « équivalent tofu ».)

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L’Insee nous apprend aussi qu’en 2006, « les achats d’aliments composant les plats d’origine animale ont atteint en moyenne 242 grammes par habitant et par jour. » Le lobby de la viande, lui, préfère ne parler que d’une sous-catégorie pour montrer qu’il faudrait bien entendu que les français mangent plus de viande :

Pour les viandes de boucherie (c’est-à-dire le bœuf , le veau, l’agneau, le porc frais et la viande chevaline), les niveaux sont passés de 52 à 46 g/j/personne entre 2004 et 2007 ce qui porte actuellement la consommation moyenne hebdomadaire à 322 g (ou 373 g si l’on ajoute la viande de boucherie des plats préparés) (1), soit 3 à 4 portions seulement par semaine.

Ce qu’ils oublient de dire, c’est que si les dépenses pour la viande et les poissons frais ont tendance à diminuer depuis le début des années 1990, c’est au bénéfice de la viande et du poisson préparés (chiffres en volume, donc prenant en compte l’évolution des prix) :

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L’Insee conclut : « Comparés aux autres ménages européens, les Français se distinguent par une préférence pour la viande. La part du budget alimentaire consacrée aux légumes et aux féculents y est parmi les moins importantes. »

Qu’est-ce qui justifie de manger les animaux ?

mars 21, 2012

Le New York Times lance un défi aux carnivores : qu’est-ce qui justifie de manger des animaux ? Faisant le constat que les végétariens et les végétaliens dominent le débat sur les questions éthiques liées à la consommation de viande, il constate que les mangeurs de viande ont eu bien peu de choses à dire sur la question. Bien sûr, ils disent que la viande, c’est bon, qu’on en a toujours mangé, que c’est nutritif, ou bien que c’est dans l’ordre des choses. Mais rien de tout ça ne traite le problème de fond : qu’est-ce qui justifie, sans impératif de survie, de manger des animaux ? Ils invitent donc leurs lecteurs carnivores à se justifier en 600 mots : quelle justification éthique pour la consommation de viande ?

Le Jury est composé de Peter Singer, qu’on ne présente plus, de Jonathan Safran Foer, auteur du bestseller « Faut-t-il manger les animaux », Michael Pollan, un espèce d’intellectuel de la nourriture qui a notamment écrit « Le Dilemme de l’omnivore », et d’Andrew Light, qui enseigne la philosophie à la George Mason University.

Les vainqueurs seront publiés dans le New York Times : attendons de voir s’ils seront convaincants ! En attendant, tout ça illustre à mes yeux une évolution particulièrement frappante aux Etats Unis, qu’on est pas près d’observer en France : le retournement de la charge de la preuve en faveur des végétariens.

L’esclavage, dans l’ordre des choses

mars 21, 2012

Sur CNN.com, un article passionnant sur l’esclavage en Mauritanie. Un pays où l’esclavage a été aboli en 1981, pénalisé en 2007 et où 10 à 20% de la population est esclave.

L’esclave est « un animal parmi les animaux ». L’esclavage fait partie de l’ordre naturel, et se passe de justifications.

Viande et sexe : la nouvelle pub PETA

février 27, 2012

L’association PETA fait encore à nouveau des siennes, avec une campagne de publicité parfaitement typique du genre bien particulier qui la caractérise :

On y retrouve tout ce qui fait la marque de fabrique de PETA : les thèmes sexuels, la volonté de choquer, le recours à la parodie, le décalage se voulant comique. Il faut reconnaître une inventivité dans l’exercice : cette campagne réussit à choquer sur une nouvelle thématique, après « I’d rather go naked than wear fur » (plutôt être nue que porter de la fourrure, prétexte facile à déshabiller des célébrités) ou bien »all animals have the same parts » (prétexte, à nouveau, à montrer une actrice en maillot de bain). Même quand le slogan ne s’y prête pas, comme pour « Be an angel for animals, always adopt, never buy », on met tout de même un « ange » nu, pour faire bonne figure et pour s’attirer la polémique. Et je ne parle pas des affiches où PETA met « la vérité à nu » (« the naked truth »).

Et de fait, ça marche : la nouvelle campagne a été traitée en première page du site de Libération, sur celui du Nouvel Obs et quantité d’autres sites. La campagne est très bien orchestrée, avec un site web dédié. Du point de vue de PETA, j’imagine que c’est un succès : ce ne sont pas des publicités faites pour la télévision, l’objectif est de faire le buzz, selon le terme consacré (c’est évidemment bien moins cher).

La première questions que cette campagne soulève, c’est celle de son efficacité à promouvoir le véganisme. Il est clair que dans la mesure où l’essentiel de la population, en France, ne sait pas ce que c’est que le véganisme, cette campagne peut-être l’occasion d’en entendre parler. Et pourtant, peut-on véritablement espérer que des gens vont adopter une alimentation végétale pour des motifs de santé (quand bien même il s’agit de « performances sexuelles ») ? Chacun sait déjà que l’onglet-mayonnaise-frites n’est pas l’idéal pour la santé vasculaire, et pourtant c’est LA star des selfs, restaurants d’entreprise et autres cantines. Est-ce que le résultat ne consiste finalement pas à ajouter une nouvelle étiquette aux « défenseurs des animaux » (en plus de « fans de Brigitte Bardot », « mémés qui donnent à manger aux pigeons » et « hippies en espadrilles »), celle d’obsédés sexuels brutaux ?

Même si ce type de campagne était efficace, on pourrait encore se demander si c’est acceptable d’un point de vue éthique. La fin justifie-t-elle les moyens ? C’est pour le moins problématique (même si on est utilitariste…). Est-ce bien raisonnable de combattre une injustice (le traitement fait aux animaux) par une autre (celui fait aux femmes) ? Pourquoi pas des plaisanteries racistes pour combattre les violences conjugales : « Taper ma femme ? Je laisse ça aux immigrés ! »

Au delà de ces considération sur l’efficacité et l’opportunité des campagnes de PETA, il reste à comprendre pourquoi PETA a recours si souvent à ces méthodes : c’est une illustration de ce lien indubitable qui existe entre viande et sexe. Un lien en partie mystérieux, pas si facile à cerner, qui est cependant indéniable. Carol J. Adams n’est certainement pas la première à l’avoir identifié, mais elle en fait une analyse détaillée qui fait partie des classiques du mouvement animaliste : The sexual politics of meat (bien entendu, pas encore traduit en Français après plus de vingt ans). Elle aborde la polémique sur son blog dans un billet intitulé : « Sigh, the sexual politics of meat once again« . Pour elle PETA utilise l’appétit que nous avons pour « les images de femmes blessées, de femmes qui aiment être dominées, de femmes pour lesquelles la domination est devenue sexualisée ». Bref, de femmes qui aiment être traitées comme de la viande.

L’Homme et la Couleuvre

février 24, 2012

Un Homme vit une Couleuvre.
Ah ! méchante, dit-il, je m’en vais faire une oeuvre
Agréable à tout l’univers.
A ces mots, l’animal pervers
(C’est le serpent que je veux dire
Et non l’homme : on pourrait aisément s’y tromper),
A ces mots, le serpent, se laissant attraper,
Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire,
On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison,
L’autre lui fit cette harangue :
Symbole des ingrats, être bon aux méchants,
C’est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu’il put : S’il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice,
C’est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ;
Selon ces lois, condamne-moi ;
Mais trouve bon qu’avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n’est point le serpent, c’est l’homme. Ces paroles
Firent arrêter l’autre ; il recula d’un pas.
Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles :
Je pourrais décider, car ce droit m’appartient ;
Mais rapportons-nous-en. – Soit fait, dit le reptile.
Une Vache était là, l’on l’appelle, elle vient ;
Le cas est proposé ; c’était chose facile :
Fallait-il pour cela, dit-elle, m’appeler ?
La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;
Il n’a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n’est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants
Le font à la maison revenir les mains pleines ;
Même j’ai rétabli sa santé, que les ans
Avaient altérée, et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin.
Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin
Sans herbe ; s’il voulait encor me laisser paître !
Mais je suis attachée ; et si j’eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L’homme, tout étonné d’une telle sentence,
Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu’elle dit ?
C’est une radoteuse ; elle a perdu l’esprit.
Croyons ce Boeuf. – Croyons, dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le Boeuf vient à pas lents.
Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,
Il dit que du labeur des ans
Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines
Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ;
Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux,
On croyait l’honorer chaque fois que les hommes
Achetaient de son sang l’indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Boeuf. L’Homme dit : Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur ;
Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,
Au lieu d’arbitre, accusateur.
Je le récuse aussi. L’arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs.
L’ombrage n’était pas le seul bien qu’il sût faire ;
Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l’abattait, c’était là son loyer,
Quoique pendant tout l’an libéral il nous donne
Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ;
L’ombre l’Eté, l’Hiver les plaisirs du foyer.
Que ne l’émondait-on, sans prendre la cognée ?
De son tempérament il eût encor vécu.
L’Homme trouvant mauvais que l’on l’eût convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d’écouter ces gens-là.
Du sac et du serpent aussitôt il donna
Contre les murs, tant qu’il tua la bête.
On en use ainsi chez les grands.
La raison les offense ; ils se mettent en tête
Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens,
Et serpents. Si quelqu’un desserre les dents,
C’est un sot. – J’en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
– Parler de loin, ou bien se taire.

La Fontaine, Fables, livre dixième, fable I.